C'est en arrivant à la Maroquinerie, tranquille Emile, 1 heure avant le début du concert, que je me suis rendu compte que, mine de rien, Adam Green était une (petite mais vraie) star : la file d'attente s'étirait déjà le long du bâtiment, dans la rue, canalisée par des barrières. Pour peu, on se serait cru devant l'Olympia pour un grand soir ! Le public, en écrasante majorité féminin (je dirais au moins 8 sur 10), archi-fan de l'ex-adolescent prodige new yorkais (on en aura la preuve plus tard), irradie d'ailleurs cette joie tranquille qui caractérise ceux qui vont bientôt vivre l'un de leurs rêves.
Lorsque la première partie débute, vers 20 h 40, la
Maroquinerie est archi bondée, ce qui n'est pas non plus ordinaire. Première
partie acoustique elle aussi, qui nous offrira une courte vingtaine de minutes
de souffrances intenses : la blonde pétasse, qui chante d'une voix de
femme-enfant irritante au plus haut point, s'appelle Constance Verluca, et je me
souviens avoir lu bien des critiques positives sur elle. Ou je suis fou, ou il y
a quelque chose de vraiment pourri dans le royaume de Norvège... pardon, de la
critique rock : car ces vingt minutes sont d'une laideur terrible, tant les
textes de la "belle" sont d'une bêtise et d'une irresponsabilité terrassantes.
On admettra bien joyeusement qu'elle chante les charmes "du Chocolat, de
l'Héroïne et de la Vodka" pour oublier une vie de merde (après tout, QOTSA ont
fait une chanson sublime sur le même principe !), on grimacera beaucoup plus
lorsqu'il s'agit de faire l'apologie du mépris ou du suicide en faisant des
minauderies gracieuses. Bref, la maîtrise du seconde degré demande de
l'intelligence et de la subtilité, deux qualités que Constance Veruca n'a pas.
Tirons la chasse.
Lorsque Adam Green monte sur scène, vers 21 h 15,
on constate plein de choses à la fois : qu'il a grossi, qu'il a toujours son
look "Juif New-Yorkais" qui en fait un cousin direct des Strokes, qu'il va bien
jouer tout seul avec une guitare acoustique (raaah !)... et très vite, qu'il a
une voix aussi sublime (peut-être plus, en fait, grâce à la méchante crève qui
le fait régulièrement tousser) que sur ses disques. 70 belles minutes plus tard,
qui ont passé sans qu'on les remarque, on est toujours aussi impressionnés. Le
public dans la salle a été lui aussi très bon, connaissant toutes les chansons
ou presque, reprenant les textes en choeur (et attention, c'est des textes
compliqués !), tapant à contre-temps dans ses mains, ce qui permettait à Adam de
râler pour les faire arrêter ("I hate this clapping thing, please stop !",
génial non ? Cela nous changeait des faux entertainers joviaux !). Bien sûr,
comme Adam a une technique assez rudimentaire à la guitare (on ne peut pas être
à la fois un immense compositeur, un superbe chanteur et un grand musicien !? Ou
alors on s'appelle Neil Young ou Bob Dylan !), la subtilité mélodique disparaît
en partie : dénudées de leur charme pop ou de leur tension rock par la force des
choses, ces chansons deviennent de purs exercices de style littéraires - non
anglophones, s'abstenir - qui tiennent d'abord par l'intense magie de la voix
d'Adam, quelque part entre Lou Reed (période Berlin) et Leonard Cohen (période
Death of a Ladies Man). Adam fait monter sur scène sa micro-fiancée pour chanter
(mal) à ses côtés; Adam nous dit qu'il voulait reprendre "Marylou sous la Neige"
de Gainsbourg, et puis non, finalement ; Adam termine son show en beauté en
enchainant des "Jessica", "Girl with no legs" ou "Emily", qui ravissent
profondément son auditoire suspendu à ses lèvres. Adam disparaît après 70
minutes, alors qu'une affichette à l'entrée nous avait fait miroiter 1 h 20 :
trop affecté sans doute par la crève pour nous en donner plus, le citoyen Adam.
Pourtant, nous serions bien restés là plus longtemps, dans l'obscurité complice
de la Maroquinerie, pour ce qui a diablement ressemblé à une soirée entre
amis.
PS : Une question subsidiaire : pourquoi est-ce que, à la différence de l'immonde Constance Verluca, Adam Greem peut chanter des horreurs comme "There's No Wrong Way to Fuck a Girl With No Legs", sans que cela soit révoltant ?