Première sortie
en concert de sa vie pour ma fille Emilie, grande fan de Mika à 8 ans. Pas
question donc d'aller au premier rang dans un Zénith que l'on prévoit bondé
d'adolescentes surexcitées et de familles "pépères", et Vincent et moi gardons
des places au premier rang des gradins, dans le bloc restant après que près de
300 places aient été réservées aux invités (un scandale trop
habituel !).
20 h 15 : Yelle monte sur scène, avec ses deux musiciens -
un batteur et un aux keyboards. Tout de suite, la voix extrêmement irritante de
la demoiselle, et la naïveté (on dira sympathique, pour être gentil) du jeu de
scène du trio désarçonne un peu. Si les montées en rythme techno déchainent
l'enthousiasme de la fosse, force est de reconnaitre la grande médiocrité des
morceaux, au point qu'on se demande pourquoi Yelle reçoit régulièrement le
soutien de critiques d'ordinaire plus crédibles. Bon, "Je veux te voir" et la
reprise de "A cause des Garçons" en version techno concluront agréablement un
show heureusement assez court. Peu de talent quand même là-derrière
!
21 h 20 : Le
rideau se lève sur un décor impressionnant, sorte de music hall baroque d'un
mauvais goût assez puéril. Un énorme ballon bleu semble flotte au centre de la
scène alors que les musiciens entrent en scène, il éclate pour révéler un ange :
très kitch, tout cela, et pas forcément rassurant sur ce qui va suivre (la
fascination de Mika pour Freddy Mercury va-t-elle jusqu'à lui faire adopter les
outrances écoeurantes de Queen, l'un des groupes que personnellement j'ai
toujours le plus détestés ?). Mais non, Mika déboule, vrai ange (lui), tout de
blanc vêtu, et une nouvelle ressemblance me frappe : en fait, le beau jeune
homme filiforme qui va courir, sauter, haranguer la foule sans répit durant
l'heure et demi qui va suivre - sans que la justesse de sa voix n'en soit jamais
altérée, au point que les mauvaises langues prétendent que ses hallucinantes
montées dans les aigüs sont aidées de playback !
- est surtout le Mick Jagger de
ce début de siècle. C'est "Relax", le tube absolu du moment, horriblement
matraqué sur les ondes, repris dans les pubs et les BO de films, qui ouvre le
show, et la large partie féminine et adolescente des 7000 personnes présentes
commence à hurler et à sauter en l'air. Le son est un peu décevant, et les
basses trop présentes, saturant souvent la voix précieuse de Mika, nous
priveront de certains moments d'émotion sur des "Any Other World" ou "Happy
Ending" forcément inférieurs aux versions épurées de l'album. Non, ce soir, Mika
nous offre avant tout un show spectaculaire, traduisant clairement une sorte de
générosité naïve de post-adolescent encore émerveillé par son propre succès
(planétaire, mais très fort en France). Mika parlera d'ailleurs beaucoup à la
foule entre ses chansons, d'un Français impeccable, sans accent (témoignage de
ses huit ans passés à Paris dans son jeune âge), avec l'excitation heureuse d'un
enfant qui voit ses rêves se réaliser ("Avant je
répétais mes nouvelles chansons
tout seul dans ma chambre, aujourd'hui je le fait devant 7000 personnes !",
dira-t-il avant de présenter l'une des deux nouvelles chansons, pas tout-à-fait
aussi impressionnantes que les "vieilles", avouons-le, qu'il jouera ce
soir).
Si le groupe de
Mika n'est clairement pas un groupe de virtuoses, il se dégage de chacune des
chansons une énergie heureuse qui dynamite gaiement tout risque de
professionnalisme arrogant : d'ailleurs, voir Mika interrompre une chanson pour
faire replacer son piano afin de mieux voir la foule, opération durant laquelle
il aidera lui-même les roadies (!), montre bien que la perfection du show n'est
pas l'objectif ce soir, mais bien une certaine complicité festive, qui deviendra
sans doute de plus en plus impossible au fur et à mesure du succès grandissant
de sa musique. Car, c'est clair, Mika en est encore dans sa tête à chanter dans
des salles de la taille de la Maroquinerie devant des lecteurs des Inrocks, et
ne réalise pas pleinement que son public est aujourd'hui composé d'adolescentes
qui vivent leurs premiers émois sexuels en fantasmant sur son visage d'ange et
sa démarche sautillante.
Plus les minutes passent, plus la musique gagne en puissance... "Big Girls" a très tôt mis la barre bien haut, mais c'est avec une reprise musclée de "Missionary Man" (Eurythmics encore, à la place d'un "Sweet Dreams" qui n'était pas ce que Mika faisait de mieux...) que le concert passe à la vitesse supérieure, avant de logiquement exploser sur un "Love Today" bien plus rock que le reste du show, qui se terminera d'ailleurs par une longue et jouissive session de percussions enthousiastes et enthousiasmantes : à mon avis, de toute évidence, toujours la meilleure chanson de Mika, et le sommet pour ce soir.
Il est temps
pour moi de descendre dans la fosse pour tenter d'approcher le phénomène de plus
près. Curieusement, je n'ai aucune difficulté à me frayer un chemin jusqu'au
premier rang, les adolescentes hypnotisées par leur idole se comportant
paradoxalement avec une certaine retenue (si l'on se souvient par exemple de la
foule hystérique au même endroit, il y a 6 mois, pour Arctic Monkeys, le
contraste est frappant). Me voici donc quasiment au premier rang, à mon tour
frappé par la beauté et la gaieté qui se dégage de Mika, et par l'aspect
purement "Jaggerien" de son jeu de scène. "Grace Kelly" lui permet de faire
rugir ses influences ("Little Freddy..."), avant le rappel, qui s'ouvre avec un
hilarant théâtre en ombres chinoises : les musiciens sont tous déguisés en
animaux en peluche géant, un "Bad Rabbit" vient semer la zizanie à coup de kungfu, avant que Mika, crocodile armé d'un fusil, ne vienne remettre de l'ordre
dans tout cela. Tout explose, et c'est évidemment "Lollypop", toujours une
merveille, second sommet de la soirée : d'énormes ballons sont déversés sur la
foule, des canons crachent les confettis, c'est la fête, un moment de pure joie
enfantine. A la fin, un sourire jusqu'aux deux oreilles, Mika "balancera"
(délicatement quand même) sa "batteuse" sur les bras tendus de la foule, et le
groupe hilare quittera la scène avec des bye byes ironiques à la pauvre fille,
emportée et dérivant au milieu du Zénith dans un slam involontaire. Court retour
en second rappel pour marteler une seconde fois "Relax", et d'où je suis, les
infra-basses sont surpuissantes, et font vibrer le béton du sol du Zénith. C'est
la fin.
Emilie a eu la chance de voir un très beau concert pour sa "première fois", même si, clairement, une heure vingt cinq de show, c'est un peu long à son âge. A la sortie, un vendeur de posters "pirate" lui offrira d'ailleurs une grande photo de Mika "dédicacée", de quoi orner sa chambre. Et de quoi oublier la nuit froide d'Octobre, et croire ce soir que les miracles arrivent : un jeune homme peut devenir une star en quelques mois sans rien perdre de sa grâce et de sa gentillesse. Même si on sait que cela ne durera pas, pourquoi ne pas se satisfaire ce soir de l'illusion que la vie est une fête joyeuse ?