Il pleut sur Paris, on célèbre les morts de la Der des Ders et les RnRMf***s sont au complet cet après-midi, pour une soirée du Festival des Inrocks avec mon groupe chouchou de l'année, Editors. Malgré la pluie glaciale, l'ambiance est au beau fixe, les vannes volent. Nos papys du rock'n'roll, Vincent, Jean-Pierre et Gilles P s'installent au premier rang du balcon, tandis que Patricia, Gilles B et moi sommes au premières loges, appuyés sur la balustrade. Robert Gil et Brigitte sont en face de nous, la Cigale se remplit plus lentement qu'hier, la télé n'est plus là pour filmer, le show peut commencer...
... Et le show commence avec les dialogues d'un vieux film
hollywoodien, et quand le rideau s'ouvre, Marit Bergman apparaît, radieuse dans
une tenue très glamour : robe rouge à la Marylin, châle noir, coiffure années
40, maquillage à la Ava Gardner, le tout très impressionnant pour un cinéphile
comme moi. Malheureusement, la musique ne suit pas : Marit a tendance à nous la
faire "gueularde", sur une musique qui frôle souvent la grandiloquence, loin de
la légèreté pop. Les sept (7 !) musiciens ont beau avoir le look et l'attitude
qui va bien, les 30 minutes qui suivent louchent vers une certaine emphase FM
qui n'est pas ma tasse thé. Reste qu'il est difficile de résister à l'énergie et
au charme volontaire de Marit, qui finit par gagner l'indulgence du public en le
faisant reprendre le refrain sur une chanson dédiée à toutes les putes de Paris
(le précédent passage de Marit en ville ayant eu lieu, d'après elle, dans un
bordel !).
Elvis Perkins ne joue pas la facilité ce soir en débutant son
set par 2 morceaux lents et sombres. Puis peu à peu, l'ambiance funèbre
s'éclaire, même si, par rapport à mon souvenir de la première partie de CYHSY,
son Dearland ne sera jamais "festif" ce soir : Elvis égrènera ses très belles
compositions avec une élégance et une force régulièrement impressionnantes,
jusqu'à un final très émouvant ("While You Wree Sleeping" en un crescendo
envoûtant, puis "Doomsday" où le bastringue se fait grinçant), avec la
participation enthousiaste de Gaëtan Roussel, de Louise Attaque. Bon, c'est vrai
qu'il faut aimer le folk traditionnel, et aussi un peu la tristesse, mais dans
le genre, il est difficile en ce moment de faire mieux qu'Elvis
Perkins.
Lorsque Los Campesinos ! (le "!" est important, pour distinguer
ce groupe originaire de Cardiff d'homonymes eux véritablement latins...) entrent
sur scène, leur nombre, leur jeunesse et leur fougue rappellent immanquablement
les débuts de Belle and Sebastian... Mais un Belle and Sebastian qui préfèrerait
les syncopes de Woodentops aux langueurs indies. Un brin de fête foraine,
quelques échos de gigues galloises (logique...), mais aussi une volonté
téméraire de destructurer leur musique, au risque de fatiguer et de dérouter
l'auditeur. Il y a des moments - les plus directs - où c'est assez excitant, et
l'enthousiasme de ces quasi lycéens semblerait soulever des montagnes, mais
assez souvent on se perd dans ces breaks et ces digressions finalement un peu
inutiles (qui a dit prétentieux ?). Au fil des morceaux, l'intérêt s'émousse et
leur set se terminera, pour ma part au moins, dans une certaine
indifférence.
Pendant la pause suivante, les Inrocks nous refont le même coup que la veille au soir : 3 chansons jouées, en acoustique cette fois, devant le rideau, par une jeune Américaine blonde (dont nous ne saurons pas le nom) : heureusement, elle, elle chante bien, et même si sa musique n'a pas inventé l'eau tiède, on finira par applaudir son courage.
Propulsés par un batteur préhistorique et
complètement allumé, The Noisettes mettent enfin le feu à la soirée : voici une
musique assez improbable (même si les BellRays creusent paraît-il me même
sillon...), sorte de soul vaudou à cheval sur du metal, conduite par Shingai
Shoniwa, une chanteuse charismatique et déchaînée : enfin une diva qui ne rend
pas de points à Amy Winehouse en profondeur et en puissance vocale, mais qui se
donne à fond quand il s'agit de jouer du fuckin' rock'n'roll. Vivant
passionnément chacune de ses chansons, Shingai passe sans arrêt de la
théâtralisation impudique de sentiments déchirants (voir son impressionnante
descente dans la fosse dans un moment particulièrement cathartique) à la pure
défonce hard : juchée sur le kit de son batteur fou, balayant l'air à grands
coups de basse, elle est l'incarnation parfaite de la sauvagerie et de la grâce.
A son côté, Dan Smith assure les parties de guitare avec une prolixité
psychédélique réjouissante. Ne manquent à notre enthousiasme que des
compositions un peu plus notables. 45 minutes quand même de tonnerre et de
larmes, hard et soul intimement mélangées. 45 minutes de musique aussi
spectaculaire qu'intime, comme on voudrait toujours qu'elle soit.
Il est
toujours angoissant de penser qu'on va voir sur scène pour la première fois
(pour ma part, encore une fois) son COUP DE COEUR de l'année, et après la
mini-tornade The Noisettes, je me prépare à une déception avec Editors. Non !
Dès que Tom Smith et son groupe démarrent sur un "Bones" en coup de poing, on
sent que la partie est gagnée (ah, ces cris de "Retreat ! Retreat !, traduisant
ce sentiment de panique existentielle qui fut longtemps l'apanage de Joy
Division !!!) : Editors est un groupe puissant, peut-être déjà taillé pour le
succès planétaire et les stades (pas ce qu'on préfère, mais tellement de groupes
qu'on a aimé petits ont terminé ainsi), tant leur lyrisme douloureux frappe
directement au coeur. La voix de Tom Smith est parfaite, aussi profonde que
juste (bien plus belle en fait que sur l'enregistrement du concert d'Amsterdam
que Gilles B m'avait fait), la Rickenbaker de Chris Urbanowicz remplit tout
l'espace de sa lave brûlante, dans un style héroïque qui rappelle inévitablement
les débuts des années 80, le son est presque parfait (ç'aura été le cas,
d'ailleurs, toute la soirée, on est loin de la bouillie de la veille), les
lumières judicieuses, théâtralisant encore une musique qui transcende le
désespoir fatal de la cold wave pour aller chercher l'extase et la fièvre... "An
End Has a Start" terrasse la foule de la Cigale, et on n'en est qu'au troisième
morceau. Il est clair maintenant que le public, majoritairement masculin pour
une fois et vêtu de couleurs sombres, qui s'est tenu très clame jusqu'à présent
(aucun slam ce soir, rien à voir avec l'ébullition de la veille !), n'est ici ce
soir QUE pour Editors, et que ces chansons diaboliquement émotionnelles, chacun
ici les porte profondément en soi : c'est le moment pour moi d'admettre que "An
End Has a Start", aussi sublime qu'il soit, n'est pas que MON album de chevet,
et qu'il va falloir que je partage cette musique avec des milliers d'autres
fans, le coeur battant et les larmes aux yeux.
Une toute petite heure de concert qui passera comme un rêve, tant chaque chanson est parfaite, sans doute même un peu trop parfaite : Editors peut parfois ressembler à un bolide de compétition, toujours à fond la caisse, tant rythmiquement qu'émotionnellement, et les poses torturées de Tom Smith ne trompent personne, on est ici dans la maîtrise (disons plus du côté de U2 et Coldplay, pour citer des noms qui fâchent), pas dans le désespoir brisé d'un Ian Curtis, malgré la similitude vocale impressionnante. On terminera ce set beaucoup trop court - et donc finalement aussi un peu frustrant, malgré son intensité - par un "... Hospital Doors" repris par la foule, extatique, puis par un "Fingers in the Factories" furieux. Il va nous falloir revoir Editors, et vite !
Est-ce l'habitude, à la seconde journée du festival ? Je sors de ces nouvelles 6 h 30 de station debout beaucoup moins rompu que la veille, même si je dois reconnaître que ce genre de marathon ne constitue pas la meilleure manière d'écouter la musique qu'on aime...