Ce qu'il y a de bien avec un concert pas complet,
c'est qu'une bonne partie du stress lié à l'attente, l'entrée et le placement
dans la salle disparait. On se croirait presqu'à un rendez-vous "civilisé" ce
soir, dans un Elysée Montmartre aux 3/4 vides... Du moins jusqu'au début du set
de Calc, gentil groupe français qui chasse prudemment sur les terres de l'indie
rock US, si ce n'est même du college rock : des mélodies euh... intéressantes,
une voix chafouine qui évoque les Shins, un son de basse notable qui confère par
instants une jolie complexité à des morceaux trop uniformément mid-tempo. Une
musique réfléchie et parfois touchante dans sa fragilité contrastant avec le
côté relativement "terrien" de son instrumentation. Puis, peu à peu, l'intérêt
se dissipe de part une trop grande uniformité des ambiances... Les pensées
vagabondent, ce qui n'est pas désagréable, jusqu'à un final terriblement peu
motivant, présageant mal de l'avenir de ce groupe en demi-teintes. 35 minutes
quand même, et seulement une portion congrue de plaisir.
Quand les 6 musiciens de The
Coral entrent en scène, sous un déluge de sons psychédéliques très 70's, la
première idée qui me traverse l'esprit est que James Kelly, le chanteur,
ressemble beaucoup à Charlie, le rockeur éberlué et accro de Lost, avec un vrai
accent de Liverpool en lieu et en place de Manchester... Espérons que The Coral,
qui a également traversé succès énorme, indifférence polie et crises internes
liées à l'abus de substances illégales, aura un avenir plus radieux que Drive
Shaft !
Gilles B a eu la bonne idée de "nous placer" pour une fois à
droite de la scène, un peu au hasard (ni lui ni moi n'étions sûrs de nous
souvenir de la configuration du groupe sur scène au Zénith) : nous nous sommes
retrouvés pile en face de Bill Ryder-Jones, qui sera le (guitar) héros de la
soirée... Planqué dans l'ombre et les fumigènes, armé d'une Gretsch monstrueuse
ou à l'archet sur un stupéfiant She Sings The Morning (le moment le
plus miraculeux du set, qui a permis d'entrapercevoir, l'espace de 5 minutes
enchantées, combien The Coral pouvait - aurait pu ? - être grand), Bill sera LE
magicien du concert, enflammant ou illuminant - suivant les morceaux - la
musique par ses interventions, aussi brèves qu'intenses. Avec un son rappelant
celui de Will Seargant - mais avec une incisivité que le guitariste d'Echo n'a
jamais eue -, il évoque tour à tour les jours glorieux d'un Robbie Krieger ou
encore d'un Arthur Lee.
Le concert sera concentré sur les titres du
magnifique dernier album, joué dans sa quasi totalité, et (presque) dans
l'ordre, entrecoupé de perles des albums précédents, que je ne connais pas, mais
qui sont, dès la première écoute, terrassants. Car The Coral tient ce soir la
recette miraculeuse de la pop éternelle : jouer à la perfection, pour notre
bonheur d'amoureux des mélodies célestes, ses chansons "parfaites", en en
accélérant juste assez le tempo pour les transformer régulièrement en "bêtes de
scènes"... Un équilibre délicat que peu de groupes peuvent tenir (je n'ai pas pu
m'empêcher de faire la comparaison avec The Shins, un groupe aussi doué
musicalement, mais incapable de transcender ses chansons sur scène), et qui nous
a laissé une heure dix durant, bouches bées d'admiration...
Une heure
dix, oui seulement, et c'est là que le bât blesse : ce fut une concert
musicalement parfait, l'un des plus impressionnants "techniquement" que j'aie
vus depuis longtemps, mais The Coral ne m'a pas semblé un groupe heureux, ni,
logiquement, un groupe généreux. La concentration des musiciens ne justifie pas
à mon avis leur air renfrogné, et l'on aurait aimé qu'un groupe ayant cinq
albums à son actif, joue plus d'une heure avant les rappels. De la même manière,
même si la concision est indiscutablement une composante de la grande pop music
(quand The Coral louche un peu vers la fausse simplicité de The La's, ultime
référence en la matière), il aurait par contre suffit de lâcher la bride lors
des magnifiques accélérations instrumentales qui soulevèrent l'Elysée Montmartre
à plusieurs reprises, pour que ce concert de The Coral se transforme en l'un des
plus grands évènements de l'année. Preuve en fut donnée avec She's Got a
Reason, ma chanson préférée de "Roots and Echoes", dans un final
époustouflant, mais... arrêté net alors que nous commencions juste à
"décoller".
En tout cas, même avec un avenir incertain devant eux, The Coral ont prouvé ce soir leur grandeur, surplombant la majorité de leurs compatriotes, et perpétuant avec une élégance galopante la flamme du psychédélisme made in San Francisco. Comme si les Doors avaient enfin vu le soleil, ou les Beatles étaient montés à cheval pour s'enfoncer vers l'Ouest. Ce n'est pas rien.