Bon, il est
assez rare que j'aille assister à un concert sans connaître au préalable la
musique qui va être interprétée, car cela ne facilite pas, à mon avis,
"l'expérience live" quand il faut aussi "travailler" à saisir les chansons, en
plus de recevoir la musique et de la vivre. Le "couple" sur scène, ce soir, je
les connais chacun séparément, dans des contextes radicalement différents :
Isobel au sein de Belle & Sebastian, groupe indie séminal qui fut naguère
exceptionnel, et Mark en second couteau suicidaire et effrayant avec les QOTSA -
un beau pedigree quand même... Je ne sais donc pas à quoi m'attendre, et la
première chanson me saisit littéralement : la voix profonde, sépulcrale même de
Lanegan, la mélancolie profonde qui se dégage de la mélodie minimaliste, tout me
rappelle Cohen, l'une des mes idoles absolues. On entend à peine la voix gracile
d'Isobel, mais franchement, je m'en tamponne le coquillard, je sais déjà que je
suis là pour Lanegan, le monstre, la bête, le survivant, le symbole de tous les
excès et de toute la noirceur du rock'n'roll. Je me prépare à une soirée-choc,
je me concentre pour déguster chaque instant de ce set qui
s'annonce magique...
Et puis, non... en fait, non... La magie ne tiendra pas tout au long des 95
minutes du concert, la faute sans doute à trop de chansons un peu anodines,
manquant à la fois de mélodie et de profondeur, sans parler de plusieurs détours
vers le blues ou la country des plus classiques, soit des passages simplement
plaisants, sans plus, d'où ne se dégage aucune alchimie particulière. Oh, le
backing band est bon, pro et discret à la fois, le son presque parfait, ce qui
n'est pas toujours le cas, répétons-le, quand on est au premier rang du
Trabendo, l'atmosphère dans la salle est recueillie, concentrée, pour optimiser
l'écoute de chacun... (sauf à un moment, mémorable, où un abruti ivre viendra
semer le trouble, se fera refouler par l'un de nos voisins, ce qui déclenchera
une mini-bagarre avec intervention du service d'ordre, etc. mais surtout créera
un trouble jusque
sur la scène : Isobel ne pourra se retenir d'éclater de rire -
nerveux ? - et agiter ses petits poings en l'air pour mimer le pugilat, et même
Mark se mettra, vision surréaliste, à sourire - légèrement...). Je me prends à
regretter que Lanegan, au lieu d'interpréter les micro-chansons un peu blêmes de
notre Ecossaise réservée (il suffit de la voir, dans la pénombre, son
violoncelle serré contre elle, attendre que le grizzli à côté ait fini de rugir,
de gratter ses croûtes, de secouer sa vermine...), ne nous fasse pas un festival
de covers un peu plus risquées, un peu plus musclées. Bon, je comprends bien que
le "truc" de cette alliance contre nature, c'est le mélange paradoxal du calme
froid et tremblotant d'Isobel et de ses chansons, avec la
douleur des plaies
purulentes, mais anesthésiées, de Mark (tatouages au mains, position unique qui
ne variera pas d'un pouce pendant la concert, regard totalement tourné vers
l'intérieur)... mais quand même, quand les guitares tonnent un peu, en rappel,
la beauté se fait plus saisissante, plus aiguë, non ?
Quand nous
sortons, dehors, il fait glacial, mais ce tremblement qui nous saisit alors que
nous traversons le parking glacé du Zénith pour que je puisse reprendre ma moto
et filer dans la nuit de Décembre, oui, ce tremblement, il me semble
parfaitement approprié après ce concert étonnant, demi-réussite qui vaut quand
même beaucoup mieux que bien des shows carrés et parfaits.
Comme toujours, la version intégrale de ce compte-rendu sera postée sur le blog des R'n'R Motherf***s !