Quand
Buzzcocks entrent en scène, il faut bien dire que ce n'est
pas la joie : Pete Shelley, qui n'a jamais été bien folichon, même à 20 ans, admettons-le, ressemble maintenant à une version un peu plus chevelue de
Balladur, a autant de charisme que lui, mais bouge un peu moins sur scène. Face
à moi, il y a Steve Diggle, qui a clairement vieilli avec plus de classe et va
nous faire le show ce soir : ravi, puis rapidement déchaîné, il virevolte,
gesticule, harangue le public, serre les mains, conspue MTV, crache abondamment,
rayonne et tempête. On ne s'ennuie pas en face de Steve Diggle qui, il faut le
bien dire, EST Buzzcocks à lui tout seul ce soir : il est d'ailleurs le seul à
être en pleine lumière, alors que Shelley rôde dans le noir (bonjour les photos
!), et que les deux autres membres du groupe ne sont que de jeunes
accompagnateurs compétents. Mieux encore, tous les morceaux exceptionnels de ce
soir seront les siens, de Autonomy à un magnifique Harmony in my
Head en final après 1 h 40 de concert. La voix de Shelley, elle, est
constamment sous-mixée, ce qui nous privera largement du plaisir qu'auraient dû
faire naître en nous des hymnes pop immortelles comme Ever Fallen In
Love? (à mon avis l'une des cinq plus grandes chansons pop jamais
écrites...) ou What Do I Get? Car on en arrive à LA grande
caractéristique du concert de Buzzcocks en ce
jeudi 19 mars mémorable : LE
NIVEAU SONORE des guitares, et de la guitare de Diggle en particulier. ENORME.
Presque INSOUTENABLE. En gros, pour ceux qui y étaient, je ne trouve que le
souvenir d'un concert mémorable de Wedding Present à Portsmouth à l'époque de
Kennedy : nous avons vécu 1 h 40 de déchirements incessants des
tympans, chaque riff aigu de la Telecaster blanche de Diggle nous détruisant un
peu plus l'ouïe, sans doute de manière permanente. Et au milieu du set, Diggle,
avec un air de maniaque, a mis le potentiomètre de son Marshall sur la position
maximale, et à partir de ce moment-là, d'où j'étais placé, en face de lui, plus
rien d'autre n'a été audible, même la batterie avait du mal à franchir le mur de
barbelés sanglants que Diggle dressait. Inutile de dire que ce concert a été
avant tout une célébration de LA GUITARE, et nous a permis de nous souvenir que
Buzzcocks, qu'on a tendance à ranger dans la catégorie "pop-punk" du fait du
talent de compositeur de Shelley, a été aussi un formidable groupe novateur,
dans sa manière de construire des morceaux quasi-abstraits sur des riffs de
mitraillette, créant une sorte d'abrutissement du public, littéralement
"vitrifié" par le niveau sonore.
Le public,
parlons-en justement. Dès le riff de Boredom annonçant le terrible
Fast Cars ("I Hate / Fast Cars"), un pogo géant s'est déclenché dans un
Trabendo qu'on avait rarement vu aussi agité, et les coups ont commencé à
pleuvoir sur mon dos. Quelques minutes plus tard, une altercation sauvage se
déclencha entre le groupe des photographes et deux femmes d'une trentaine
d'années décidées clairement à "faire chier le monde" : j'ai donc entrevu notre
cher Robert, pourtant l'homme le plus gentil du monde, faire le coup de poing,
et j'ai reçu la moitié d'un grand verre de bière sur moi, avant que la seconde
moitié soit jetée au visage de la photographe à mes côtés. Ensuite, comme je le
disais, le niveau sonore hallucinant et les grands morceaux que sont Fiction
Romance ou Pulsebeat (terrible !) ont plongé le public dans un
sorte de coma hébété. La seconde moitié du set, consacrée à "Love Bites", un
album que je connais moins que "Another Music in a Different Kitchen", et que je
trouve moins intéressant, a été assez ennuyeuse, faisant retomber l'ambiance,
malgré ce boute-en-train de Steve Diggle. Cela m'a permis d'ailleurs de
réfléchir à mon aise sur ce concept bizarre qui fait rejouer aux groupes d'hier
leurs grands albums mythiques DANS L'ORDRE EXACT des morceaux : difficile,
malgré la violence punk dégagée par Buzzcocks, d'échapper à un vague
malaise... Ne sommes-nous pas en fait dans un monde de cauchemar, d'où toute
spontanéité a été évacuée, et où ne compte que la précision technique avec
laquelle sont recréés les sons d'une époque révolue ? Tout cela m'a plongé dans
une sorte de tristesse, loin de l'excitation qu'un tel concert aurait dû faire
naître en moi.
Heureusement,
Buzzcocks sont revenus pour un long rappel, enchaînant sans break neuf (9 !) de
leurs meilleurs singles (ça avait une petite allure de "Singles Go Steady", pour
ceux qui connaissent cette magnifique compilation), joués à fond la caisse, tous
excellents malgré l'exagération flagrante du niveau sonore qui avait à ce
moment-là définitivement flingué notre ouïe pour le reste de la soirée. Le pogo
avait repris de plus belle dans la salle, la violence aussi. A la fin du
concert, nous avons eu encore un règlement de compte, provoqué, si j'ai bien
compris, malgré elle par la photographe qui voulait poliment se rabibocher avec
son assaillante : résultat, un coup de poing en pleine figure de la part du mec
de la dite assaillante. Bonjour l'ambiance... Et puis, après réflexion, je me
suis dit que c'était très bien comme ça : quitte à faire semblant d'être en 77,
autant qu'on retrouve la méchanceté et la violence du public de l'époque, et ce
genre de comportements extrêmes qui ont largement disparu aujourd'hui des
concerts.
Retrouvez bien entendu l'intégrale de ce compte-rendu sur le blog des Rock'n'Roll Motherf***s !