Premier entré - pour rien,
il y a des sièges et ils sont numérotés - dans une Olympia méconnaissable, je
passe forcément par une phase de doute : à plus de 80 € la place, ça fait quand
même cher la minute d'hommage à feu les Talking Heads ou de célébration de la
liberté musicale de Mr. David Byrne, le seul cycliste (à ma connaissance, du
moins) du rock ! Bon, Sophie et moi ne seront pas trop mal installés au
cinquième rang, un peu sur la droite, mais au vu du public visiblement établi et
fortuné auquel les ouvreuses souhaitent poliment un "bon spectacle" (après avoir
rappelé qu'il n'y aura pas d'entracte - comprenez pas de première partie ce soir
! Pour 80 €, ça aurait été sans doute dur de les payer...), on peut quand même
décemment se demander ce qu'on fait là. Il a intérêt à assurer, le père Byrne, à
se montrer digne de 30 ans d'une carrière souvent brillamment avant-gardiste
!
Sur le fronton de
l'Olympia, il y a écrit : "Songs of David Byrne et Brian Eno", et David
Byrne s'empresse de nous expliquer la règle du jeu, lorsqu'il entre en
scène et qu'il nous fait patienter cinq bonnes minutes en attendant que les
derniers spectateurs soient installés (maudits Parisiens, jamais foutus
d'arriver à l'heure... mais sans doute s'imaginaient-ils qu'il y aurait une
première partie !) : "Ce soir, on va jouer des chansons du présent et du passé -
Talking Heads (applaudissements nourris du public) - retraçant ma collaboration
avec Brian Eno..." (Byrne évoque même le futur, mais il plaisante !). Et de
fait, il va nous proposer une set list assez différente de celles de ses
tournées des années précédentes, une set list centrée sur le dernier album (de
belles chansons sages, pas forcément génératrices de grande ambiance, à
l'exception de la majestueuse et schizoïde I Feel My Stuff jouée en fin
de set, avant les rappels...) et sur "Remain In Light", dont on aura droit à de
larges extraits, tous plus fascinants les uns que les autres, malgré la
configuration réduite du groupe... Car le choix étrange qu'a fait Byrne pour
cette tournée, c'est celui d'une interprétation assez dépouillée, ce qui
surprend au départ (par exemple, il n'y a pas de seconde guitare, ce qui rend le
son très frêle...), centrée avant tout sur les vocaux, grâce aux renforts de
trois choristes
superbes. Conséquence : le démarrage du concert n'est pas
enthousiasmant, tant on attend cette pulsation névrotique qui caractérisait les
Talking Heads, ou au moins les grandes envolées lyriques du Byrne en solo
habituel ! Au lieu de cela, on a un groupe calme et posé, avec des vocaux
superbes (Byrne chante vraiment magnifiquement bien, de sa voix si
particulière), et on craint un moment un concert "adulte", et... vaguement
soporifique dans sa perfection technique. Et ce, d'autant que, seconde idée
aussi "arty" que saugrenue, Byrne a convoqué trois danseurs de modern jazz pour
accompagner la plupart des chansons par des chorégraphies certes bien faites,
mais que l'on peut juger a priori un peu "déplacées". Un instant, le souvenir du
concert sauvage et mal poli de Buzzcocks, il y a quelques jours seulement, me
traverse l'esprit : un groupe de la même génération et de la même culture ("la
révolution punk"), aux antipodes de ce que l'on voit ce soir sur la scène de
l'Olympia ! Et je me prépare à m'ennuyer poliment... quand... éclate Houses
in Motion, le premier des cinq titres de "Remain In Light" interprétés ce
soir, et quelque chose se passe : la musique décolle, la salle suit, se
lève à
moitié, on frôle une drôle d'hystérie - drôle quand on voit l'âge et le "genre"
du public, mais pourtant, ça commence à sautiller partout. A la fin du morceau,
éclate une ovation surprenante, qui dure, dure, s'éternise, surprend les
musiciens qui n'arrivent pas à reprendre le fil du concert. C'est un instant de
pure magie, et à partir de là, la soirée a changé de dimension : on est dans le
tout bon. Les quelques passages à vide d'une poignée de chansons moins fortes
n'importeront plus, tant vont se succéder les morceaux immenses, dont on se rend
compte à quel point ils ont marqué leur époque, souterrainement sans doute, au
point d'irriguer aujourd'hui tout un courant de la musique la plus moderne :
Born Under Punches, Crosseyed and Painless, The Great
Curve (toutes trois presque plus impressionnantes dans des versions
dépouillées de la tornade psychédélique originelle qui les soutenait), Once
In A Lifetime et Life During Wartime bien sûr, et puis une
splendide version très classique,
très classieuse aussi de Take Me To The
River - la meilleure que j'ai entendue sur scène, à mon humble avis,
frôlant la perfection tant technique qu'émotionnelle. Comme on s'est même
habitués aux chorégraphies modernistes qui viennent apporter une énergie
supplémentaire aux morceaux les plus punchy, comme toute la salle est debout et
extatique, on frôle le GRAND concert, de peu... Trois rappels et 1 h 50 en tout,
on termine par le plaisir roboratif de Burning Down The House (une
entorse au programme Byrne / Eno, donc...), et par une chanson calme pour
signaler la fin des hostilités (Everything That
Happens...).
Excellente surprise
donc que ce concert, qui montre que Byrne a plus d'une corde à son arc, et peut
encore revenir très fort là où on ne l'attend pas vraiment. Je regarde autour de
moi, toute la salle bruisse littéralement de bonheur, les gens se congratulent,
et ce qui est réjouissant, c'est que la nostalgie n'a rien à faire avec ce que
nous avons ressenti ce soir : en 2009, la musique de Talking Heads, Byrne et Eno
est toujours une musique d'avenir.
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