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Le journal d'un excessif
13 septembre 2009

Leonard Cohen au Palacio de Deportes de Madrid, le samedi 12 septembre

2009_09_Leonard_Cohen_01522h10 : quelques minutes après ses musiciens, Leonard CohenDance Me to the End of Love : c'est la douche froide, le niveau du son est ridiculement faible, et bien qu'il soit clair, il y a comme une résonance métallique que l'on imagine caractéristique de la salle. Je suis assez consterné, d'autant que autour de moi, ça remue beaucoup, ça jacasse, ça fume même : pas évident de se concentrer sur les sublimes mélodies et les textes cruels ou virulents du maître. Mais l'avantage d'un tel concert-marathon, c'est qu'on peut se permettre de laisser le temps aux choses se mettre en place avec une certaine sérénité : le public se calme, le son prend de l'ampleur et du volume, je ferme les yeux et oscille d'avant en arrière comme le headbanger de base (je dois être le seul dans ma rangée...) : sur Everybody knows, tout baigne, le son est devenu presque excellent, et on peut commencer à prendre du plaisir... Après un Who By Fire ample et nerveux (malgré les interminables solos virtuoses et creux des musicos), c'est la première 2009_09_Leonard_Cohen_029surprise de la soirée : un Lover Lover Lover chaloupant, première addition bienvenue à la set list. Je rêve à un duo improbable entre Cohen, dont la voix atteint désormais des profondeurs effrayantes, et McCulloch, son fan et disciple direct. Suit un autre morceau "nouveau", sur lequel à ma grande honte, je n'arrive pas á mettre un titre. La première partie du set (de 1 h 10 environ) se termine de manière un peu soporifique, sur un Anthem étiré au delà du raisonnable par les présentations des musiciens. déboule au petit trot sur la scène, vêtu de son costume et de coiffé de son feutre, terriblement classe, et il attaque

Les lumières se rallument alors qu'un beau dessin est projeté derrière le rideau de fond de scène. Ma première impression est celle d'un show beaucoup plus élastique, blues et swing, que celui des débuts de la tournée, avec la voix magique de Cohen qui s'amuse à aller et venir, sans plus guère respecter les mélodies originales. Cette liberté de ton, cette alternance de montées d'intensité (Len passe beaucoup de temps à chanter un genou au sol) et de baguenaudage sans conséquence, surprend un peu, et joue tantôt en faveur des morceaux, tantôt contre eux - je pense à l'épouvantable interprétation jazz de Bird on the Wire avec solos incontinents du pénible numéro 1 aux instruments (électroniques) à vent.

2009_09_Leonard_Cohen_084Après 20 minutes d'entracte, on repart sur le gimmick électronique de la sublime Tower of Song. Cette superbe introduction va alors placer la barre haut, très haut, pour les 1 h 45 de la seconde partie, qui va - contre toute attente, je l'avoue - atteindre des sommets vertigineux. Car quelque chose se passe d'un coup dans la salle, oui, ce qui fait la magie des GRANDS concerts, ce petit truc inexplicable qui fait qu'une salle et un artiste prennent feu ensemble : un "olé" de joie crié par une jeune femme sur l'intro hispanisante de Suzanne, une belle version de Sisters of Mercy, puis soudain... C'est le choc, Cohen entame le Partisan, dans une version incroyable, où le raffinement un peu exagéré des musiciens est balayé par la brutalité radicale de la VOIX : sur les écrans géants, le visage de Cohen a changé, il fait peur, un grand frisson me parcourt, la foule toute entière réagit, mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter. La soirée pourrait s'arrêter là, sur ces 5 minutes guerrières, ardentes, littéralement sublimes... Tout le monde se lève et c'est une ovation spontanée de 3 ou 4 minutes, sans que le groupe puisse reprendre le fil du concert. Un peu de repos avec une belle version tsigane et sensuelle de Gipsy's Wife, et l'anecdotique Boogie Street chanté par la "collaboratrice", Sharon Robinson. S'ensuit une version honnête de Hallelujah, sans doute désormais un peu trop "convenue" dans sa parfaite intensité érotico-religieuse. Et ce sera I'm Your Man, repris en choeur par tous les Madrilènes enchantés qui va relancer la machine, et transformer ce concert en moment de pure joie.. Juste avant que Take this Waltz, hommage 2009_09_Leonard_Cohen_097particulièrement pertinent ce soir à Garcia Lorca, ne fasse déferler sur nous un tourbillon de bonheur aussi nostalgique que sensuel. Cohen virevolte comme un jeune homme, non, comme un gamin joyeux, sur scène...

Fausse sortie, et tout le monde se lève, se précipite vers le premier rang. Les chaises volent, les videurs paniquent, le groupe revient. J'ai réussi à atteindre ce premier rang tant désiré, je suis juste devant la sono, à quelques mètres désornais de l'un de mes dieux vivants. Autour de moi, des gens de tout âge s'enlacent, s'embrassent, il y a des gens qui rient, d'autres qui sanglotent. Cohen nous fait son So long Marianne, puis attaque un We'll Take Manhattan extraordinaire, reptilien et swinguant, sournois et exaltant... Le second moment parfait de la soirée. Et Cohen qui danse encore... fait mine de sortir et revient tout de suite sa guitare en bandoulière, juste avec ses trois choristes. Les premiers accords s'élèvent... Je n'en crois pas mes oreilles : Famous Blue Raincoat ! Je crie, je sanglote, la tristesse cruelle de cette chanson parfaite qui m'a littéralement "dépucelé" quant à la complexité amoureuse quand j'avais 16 ans fonctionne toujours aussi bien : imaginez, cette histoire retorse d'un mari cocu qui finit par remercier l'amant de sa femme pour avoir réussi à lui rendre le sourire. Sacré Len ! Dommage que le lourdingue harmoniciste vienne faire le virtuose là-dessus, c'était franchement inutile ! Puis Len se met à genoux, pour trois minutes d'expiation terrible : c'est l'inattendu, le parfait Chelsea Hotel ! Autour de moi, tout le monde se regarde, on n'en croit pas nos oreilles... 2009_09_Leonard_Cohen_102Si on s'attendait à ça ! Len se fait tailler une pipe par Janis Joplin, et après avoir plaisanté sur le fait qu'ils étaient moches tous les deux, lui dit qu'il s'en bat l'oeil s'il l'a bien fait jouir ou non, juste avant la conclusion, littéralement mortelle : "tu sais, je ne pense plus très souvent à toi !". L'homme sur scène n'a plus 70 et quelques années, il est à nouveau le poète à la voix qui tue, auquel nulle femme ne résiste. Le public Madrilène est chaud, chaud : je dois bien admettre en vivant ces moments exceptionnels que tout cela n'a rien à voir avec la sympathique vénération du concert de Londres ! A la fin, Cohen, visiblement bouleversé, ne voulant plus quitter la scène, nous dira : "merci d'avoir conservé tout ce temps mes chansons vivantes !". Et c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une incroyable pulsion de vie.

Plus personne ne veut partir, même s'il est déjà plus d'une heure du matin. On termine la soirée dans l'ambiance "fête juive" de Closing Time, puis par le rituel jeu de I tried to Leave You : jeu de l'enchainement des parties "solos" de la troupe toute entière, qui ce soir, après tant d'émotions, ne parait plus du tout rituel, mais devient une célébration de l'amitié et de l'amour de la 2009_09_Leonard_Cohen_067musique. Et jeu surtout sur les mots de cette chanson, écrite par un amant à la femme - qu'il aime depuis si longtemps - dont il est fatigué mais qu'il n'arrivera jamais à quitter : oui, la chanson devient une poignante et ironique déclaration de fidélité de Len à son public. A la fin, même l'équipe technique monte sur scène, et même les amants, conjoints et amis des musiciens sont là pour jouir de cet instant de bonheur en suspension. Cohen ne veut toujours pas partir, il réfléchit et prend le micro, il nous dit qu'il ne sait pas s'il reviendra jamais à Madrid (frisson glacé), mais qu'il nous souhaite d'être heureux, avec nos parents, notre famille et nos amis, comme lui l'est en ce moment. Il hésite un instant, et il s'adresse alors à ceux qui sont solitaires, eux, et il leur souhaite de trouver cette chaleur humaine qui est si indispensable. Quand il parle, on n'a pas l'impression d'un discours - même sincère - d'artiste remerciant son public en transe, on ressent l'affreuse mélancolie et la merveilleuse générosité qui continuent à s'affronter dans l'œuvre et le cœur de Cohen. Je me dis d'un coup que c'est vrai, il a peut être raison, nous ne reverrons plus. Mais au moins, nous nous serons tant aimés.

Retrouvez l'intégrale de ce compte-rendu sur le blog des Rock'n'Roll Mother f***s !

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Commentaires
E
Merci l'ami pour ce superbe article.
J
Tout y est.<br /> Rien à ajouter.<br /> Belle expérience transmise.
Le journal d'un excessif
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