La salle est maintenant bien remplie, jusqu'aux deux balcons, proche du maxi a
priori. Il est 21 h 37, et Nouvelle Vague entrent en scène. Je
ne sais pas exactement à quoi je m'attendais, mais certainement pas à quelque
chose d'aussi "naturellement rock" - malgré les rythmes jazzy, bossa ou autres :
c'est un vrai groupe sur scène, devant nous, avec guitariste (acoustique, assis
et à casquette, mais bon, un guitariste quand même), un contrebassiste qui
swingue, un batteur qui cogne dur, et un type derrière ses claviers (avec juste
un tout petit iMac pour dire...), et surtout deux chanteuses. La première est
toute dorée et chante comme une diva soul, avec une belle voix ample, tout en
faisant le spectacle comme une rock star en devenir ; l'autre, en noir, fait la
voix sexy et innocente qui fait triquer les messieurs pervers, et a tendance à
plutôt faire le clown sur scène (comme quand elle annonce qu'on va tous "fuck
together", avant de faire hurler au public madrilène un énorme "fuck" étiré...).
Le concert commence d'ailleurs très fort, avec une version lugubre et bien
sentie de 100 Years de Cure, histoire de bien expliquer qu'on n'est pas
là (que) pour rigoler : "It doesn't matter if we all die...". Alors là tout de
suite, moi qui ai presque détesté le dernier disque pâlichon de Nouvelle Vague,
je réalise deux choses : d'abord, Nouvelle Vague ne jouent pas QUE les titres de
leurs 3 albums, mais piochent allègrement dans l'héritage "nouvelle vague", pour
en célébrer et en distordre les plus belles pièces , et ensuite, même les titres
que l'on connaît d'eux sont la plupart du temps réinterprétés de manière
différente... Et c'est cet esprit iconoclaste et passionné à la fois - qui avait
fait du premier album-concept de Marc Collin et Olivier Libaux un triomphe
artistique comme commercial - qui règne toujours sur les concerts, et les
protège du second degré comme de la "branchitude" détestable qu'on peut
facilement associer aux disques. Non, un set de Nouvelle Vague, c'est avant tout
du bonheur : celui de reconnaître après quelques secondes de surprise et de
doute, des chansons qui font partie de notre vie, certaines évidentes (Ever
Fallen In Love, de Buzzcocks, ou Love Will Tear us Apart, de Joy
Division, qui conclue le set avant le rappel en grand singalong ému) et dont on
sait
bien qu'elles sont suffisamment immenses pour survivre à tout, même à la
nostalgie, et d'autres, beaucoup plus surprenantes : ainsi, la gothique et donc
très typée Bela Lugosi Is Dead (de Bauhaus) est un sommet de
fascination et d'émotion, toute tendance à la dérision abandonnée, pour se
concentrer seulement sur sa sublime noirceur.
J'observe régulièrement ce public madrilène nouveau pour moi,
un public à la fois superficiel (beaucoup de conversations bruyantes qui
troublent certains morceaux, le son étant bon mais pas excessivement fort) et
pourtant très chaud, plus chaud sans aucun doute que le public parisien : je
suis entouré de trentenaires (pour la plupart... peu de gens de ma génération)
qui connaissent toutes les paroles des chansons et les chantent en rayonnant de
joie... alors qu'ils n'avaient certainement pas encore l'âge de pogotter sur
God Save the Queen (la version acoustique et anecdotique de l'album
devient ce soir passionnante, et l'émotion s'empare de la salle sur le final
repris en chœur, doux et triste : "No Future For Me, No Future For You") en
1977, ni même de danser le ska mélancolique de Friday Night Sarurday
Morning (The Specials). Je crois que c'est grâce à ce public, venu pour
s'amuser en toute simplicité, et chanter et danser sur de grands morceaux de
l'Histoire du Rock, que le set de ce soir décolle vraiment, dépassant l'exercice
de style : Too Drunk To Fuck (des Dead Kennedys) a une nouvelle vie
après Camille, les deux chanteuses déchaînées s'en donnent à coeur joie en
délirant ensemble sur scène, et Blister In The Sun (Violent Femmes) est
un beau moment d'excitation - même si, bien sûr, cette grande chanson est
délestée du poids d'angoisse que la voix de Gordon Gano lui conférait. Mais ce
sera Gerald Toto, réapparu pour interpréter trois titres (plus un rappel) qui
portera le set aux nues, avec une version magnifique de l'Israel de
Siouxsee : grand moment vocal quand la psalmodie intense de la chanson se mue à
notre stupéfaction en un chant de muezzin à vous en faire frissonner, dans un
raccourci qu'il est impossible de prendre pour de l'inconscience. Là, pendant
une dizaine de minutes ou presque, le projet Nouvelle Vague fait complètement
sens, conjuguant profondeur et
performance technique !
Au bout d'une petite heure et demi, le concert se termine, et c'est Gerald Toto qui revient seul avec sa guitare pour une très belle et très drôle interprétation sensuelle du Relax de Frankie Goes To Hollywood, qui sera la parfaite conclusion de ce beau concert. Malgré l'insistance du public, qui se refuse à quitter la salle (je n'avais jamais vu cela, après 20 minutes, quand je suis parti et que les techniciens avaient presque fini de démonter le matériel, les gens restaient là à réclamer plus...), Nouvelle Vague ne reviendront pas, en dépit d'une set list qui prévoyait d'autres titres. Sur la scène, traîne une feuille A4 sur laquelle quelqu'un a écrit "Thank You For the Best Concert Ever" : c'est certainement exagéré, mais, que ce mot ait été laissé par un membre du groupe ou du public, il traduit le plaisir qui a été pris ce soir, des deux côtés.
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