Ce qui m'inquiète après la première partie "espagnole" de ce soir, c'est qu'il est 23 heures, et que tout le monde s'affaire à démonter une bonne partie du matériel du premier groupe... Que
va-t-il rester pour Richmond Fontaine ? Pas grand chose en
fait, le groupe jouant assez dépouillé ! La salle s'est correctement remplie (à
moitié environ)quand à 23 h 18, le quatuor de quadragénaires Richmond Fontaine
entre en scène. Je dis "quadragénaires" même si je n'ai aucune idée de l'âge
exact des musiciens, mais il y a dans leur apparence une étonnante banalité
(pour un groupe de rock, s'entend...) : oui, ils ont tout l'air d'une petite
bande de mâles américains ordinaires, issus d'une white middle class assez
éduquée, mais qui préfère quand même passer ses week-ends "entre hommes" à la
pêche avec une bonne caisse de bières fraîches qu'à déambuler au Musée du Prado
de Madrid (au hasard). Je sais, ce sont des clichés, mais c'est l'impression
qu'ils me donnent... voici des mecs qui ont déjà vécu, et qui ne se la jouent
pas, ni "rock'n'roll?, ni "artistes".
Sauf que le premier morceau (il s'agit de White Line
Fever, extrait de l'un de leurs anciens albums que je ne connais pas) me
stupéfie littéralement : est-ce bien là le Richmond Fontaine que je connais ?
C'est d'emblée une violente poussée de deux guitares qui tricotent des accords à
la Byrds, mais revisités par le post-punk anglais, le tout porté par une
rythmique pour le moins étonnante (Sean Oldham, batteur aux longs cheveux blancs
qui m'évoque - de loin - John Carpenter est une machine froide dont les coups
claquent, tandis qu'on voit tout de suite que Dave Harding, le bassiste, est de
la trempe d'un Peter Hook, avec sa manière de construire des lignes mélodiques
au lieu de simplement tenir une rythmique...). Le son est bien fort (quelques
acouphènes, légers quand même, ensuite) et il y a dans l'élégante furie qui se
déverse sur nous la promesse d'un grand concert tout-à-fait inattendu : j'en ai
déjà des frissons d'excitation dans le dos...
Sur ce, Willy nous annonce qu'ils vont jouer "a couple of
songs" extraites de leur nouvel album (ils en joueront quand même huit, si j'ai
bien compté !), et le possible grand concert s'efface, Richmond Fontaine
alignant ensuite des morceaux plus "traditionnellement" alt-country, disons dans
la lignée d'un Lambchop, heureusement entrecoupés de poussées de fièvre
totalement stimulantes. Si d'une manière générale, les chansons sont jouées
d'une façon plus intense, plus dure que sur l'album (je pense en particulier au
magnifique Lonnie, qui recueille les suffrages du public, ou à
l'imparable Two Alone qui conclura le set avant le rappel), ce sont
quand même les chansons plus anciennes qui, à chaque fois, font remonter
l'adrénaline, faisant ci et là souffler le vent des plaines autrefois parcourues
au galop par un Crazy Horse jeune : car, plus le concert avance, plus je suis
fasciné par le guitariste (Paul Brainard ? ou Dan Eccles ? les fans du groupe
devront me le confirmer... car il y a un cinquième membre de Richmond Fontaine,
qui ne fera qu'une seule incursion sur scène, pour jouer de la troisième
guitare - oui, troisième ! - sur un morceau particulièrement rock) dont l'allure
de vieux hippie qui se laisse emporter dans des solos lyriques et teigneux sur
sa Telecaster en fusion me rappelle... Neil Young ! Pas du point de vue son,
non, quand même, mais par sa gestuelle et l'application passionnée avec laquelle
il se met à hanter les longues cavalcades du groupe. Oui, à ces moments-là, je
ne reconnais pas grand chose, vraiment, de Richmond Fontaine, et je me demande
même comment il se fait qu'un groupe aussi talentueux et intense n'arrive pas
à (n'essaye pas de... ?) faire passer la même chose sur ses disques ! Devant
moi, sur la gauche, Dave Harding se laisse aller dans l'excitation du moment à
quelques sautillements de pogo ou poses de "bass-hero", certainement
curieusement déplacées mais bien sympathiques...
Bon, il y a eu aussi quelques pauses acoustiques, mais la voix
déchirante de Willy fait qu'elles passent bien - et les morceaux sont courts -,
et quelques moments de baisse de régime sur des chansons plus routinières, sans
doute parce que Richmond Fontaine ne construit pas son set de manière
"professionnelle" en gérant l'intensité des morceaux pour maîtriser son public,
mais semble plutôt se laisser aller au gré de son inspiration - il y a pourtant
une set list, qui sera à peu près respectée, sauf pour le rappel : là, après une
intro acoustique en duo, Willy se laisse aller à répondre aux demandes de ses
fans, et à nous jouer le "tube" (euh ? où ?) Post To Wire à la mélodie
accrocheuse, avant de conclure par un Four Walls, je crois, lui non
plus pas sur la set list.
Au final, je sors de cette heure vingt cinq minutes très rassuré quant à mon propre intérêt pour ce groupe méconnu de notre chère élite parisienne, et très heureusement surpris par la capacité que ses musiciens ont eu par instants de nous mettre le feu au cœur, tout en pratiquant une musique finalement assez ambitieuse. Il est presque une heure du matin, je suis quand même assez vanné, décidément il va falloir que je m'habitue aux horaires madrilènes : d'ailleurs, lorsque Willy s'est étonné à un moment de l'affluence à un set aussi tardif un mardi soir - et c'est vrai qu'à Portland, les rues doivent être plutôt désertes un mardi soir à minuit fin octobre ! -, il a recueilli la réponse du tac au tac d'une spectatrice : "Welcome to Madrid !"...
L'intégralité de ce compte rendu se trouve sur le blog des RnRMf, comme toujours...!