La soirée commence néanmoins
assez mal, car il n'y a plus trace de Supersuckers, apparaissant pourtant en
première partie sur le billet... Ce qui nous vaudra une longue attente de deux
heures assez mortelles, jusqu'à ce que The Reverend
Horton Heat monte sur scène, à 22 h 00 précises. Je me suis placé à gauche,
devant un petit ampli que je suppose être celui de Jim Heath, le Reverend, même
s'il est curieusement invisible, caché (pour des raisons de son ?) derrière son
étui ouvert, étui que le Reverend utilisera d'ailleurs comme porte-manteau
durant toute une partie du set.
Le trio sur scène a un look à
première vue anodin, tranchant avec l’apparence bien "déchirée" d'une
partie des spectateurs (déjà torses nus, piercés, tatoués, et formant
rapidement un "mosh pit" au centre de la salle maintenant bien
remplie) : à droite, le contrebassiste, Jimbo Wallace, a tout du voyou « cuir
et chaînes » tout droit sorti de "Graine de violence", mais avec
trente ans de plus, et passera le concert à nous faire sourire, rire même, tout
en assurant diablement bien à la contrebasse. Devant moi, Jim ressemble à mon
tonton polonais avec trente ans de moins : pur redneck texan au look
traditionnellement rockab', tout de noir vêtu avec des pantalons larges très
50's et une superbe veste noire bordée de flammes rouges (comme la contrebasse
de Jimbo). Derrière, le batteur - originaire, lui, du Tennessee, nous
l'apprendrons par la suite - ressemble à n-importe quel american boy nourri aux
hamburgers, cheveux longs blond filasse, casquette de baseball à l'envers, mais
se révélera un cogneur redoutable.
Beaucoup de puristes (ce que
je ne suis pas) prétendent que la formule "d'or" du rock, c'est le
power trio : guitare + chant, basse, batterie... Et je ne suis pas loin de
partager cet avis... sauf qu'il faut assurer techniquement pour enchaîner sans
failles rythmique et solos à la guitare, sans arrêter de chanter en plus ! Mais
croyez-moi, Jim Heath "assure", et ce soir sera l'une des
démonstrations techniques les plus impressionnantes que j'aie vues depuis très,
très longtemps : à quelques dizaines de centimètres de sa superbe Gretsch
orange (une pensée pour mon ami Vik...), je n'en perds pas une miette, tant le
Reverend déroule un jeu d'une fluidité et d'une (véritable) grâce impeccable.
Le son est excellent, très, très fort, et malgré la petite taille de l'ampli de
guitare, j'aurai à la fin des 1 h 40 du set les oreilles déchirées par les
attaques incisives du Reverend. Il n'y a guère que la voix, retransmise par la
sono un peu trop loin sur ma gauche (du fait de la largeur de la scène) qui ne
sera pas toujours parfaitement audible.
L'une des étrangetés du
concert du Reverend, c'est son découpage en quatre parties musicalement un peu
différentes, séparées par des "entractes" de quelques minutes durant
lesquelles le trio ne quitte pas la scène plongée dans l'obscurité, bien que
sur la sono redémarre (à faible volume) la musique d'ambiance : est-ce pour
reprendre ses esprits et récupérer un peu tant le set est intense ? C'est
possible, et pas forcément désagréable, sauf que la tension retombe
inévitablement, obligeant à mon avis le groupe à retrouver à chaque fois un
nouvel élan...
Bon, quatre sets distincts donc, le meilleur ayant été à mon avis le
troisième, le plus "dur", ouvert par la seule chanson lente de la
soirée, le menaçant Dark Day avec son
"twang" hypnotique (reéverb’ à fond !), et conclu par un morceau
tellurique (d'après mon ami Gilles B, il s'agirait de Calling In Twisted,
mais je ne saurais vous le certifier, la setlist ne semblant que globalement
indicative...), moment presque heavy metal et pure extase sensorielle, l'une
des émotions musicales les plus fortes que j'aies ressenties ces derniers mois
! Avant cela, la première partie a été "garage punk / psychobilly" et
particulièrement féroce, un uppercut en plein estomac du public ; la seconde,
consacrée à 5 titres de l'hilarant dernier album country du Reverend, drôle et
décontractée : Jim nous a donc fait un cours très docte sur les cactus du
Texas, pendant que l'impayable Jimbo mimait la forme des dits cactus (Ain’t No saguaro in Texas), et nous
avons aussi appris que c'était Jimbo qui était l'auteur du texte désopilant de Please Don't Take the Baby to the Liquor
Store (les reproches timides d'un mari à sa femme qui aime trop la picole
et néglige ses enfants), le tout se clôturant par l'épique mise en boîte des Death Metal Guys, accusés à demi
sérieusement de toutes les perversions possibles... La quatrième partie du set
a été la plus rockabilly, et a sérieusement déchaîné la belle bande de demeurés
qui s'agitait en hurlant au milieu de la salle : c'est le moment où j'ai été
copieusement arrosé de bière par mes voisins qui battaient le rythme en
martelant leurs bouteilles sur la scène... mais le tout dans une atmosphère assez
bon enfant quand même...!
Un rappel que j'ai trouvé
longuet et un peu décevant, avec étalage des prouesses techniques du trio (le
solo de batterie ? Noooooon ! Si !), mais qui exprimait surtout la difficulté
qu'ont ces musiciens passionnés à se séparer de leur public - amoureux, fou
d'eux, littéralement - à la fin d'un concert. D'ailleurs, la dernière note
jouée, le trio n'a pas quitté la scène pendant que les roadies rangeaient le
matériel, restant au contact de la foule à serrer les mains, à distribuer
mediators et baguettes, ou tout simplement à s'imprégner de cet amour insensé
des fans. Je dis insensé car les regards hallucinés des tarés qui
m'entouraient, dont certains semblaient sortis directement des égouts
madrilènes, tenant des propos hébétés dans un halo alcoolisé, aurait de quoi
rebuter n'importe qui : mais pas un Texan ! Non, Jim a tenu de longues minutes
les mains tendues de tous ces maniaques, plongeant son regard clair de cowboy
au plus profond du vôtre en vous serrant les doigts pour faire passer une sorte
de passion furieuse, à la fois inquiétante et terriblement humaine.
Note : L'intégralité de ce CR est sur le blog des RnRMf***s !